Gwenegan Bui (Mégalis) : "Bercy dit que la fibre optique n'est pas un droit pour tous"

Par Yann Daoulas modifié le 09/09/2020 à 16h49

Entre difficultés, nouveau départ et bataille financière avec l'Etat, le point sur l'actualité du RIP Bretagne THD avec le vice-président de Mégalis, Gwenegan Bui.

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 >Où en est le réseau public de fibre optique Bretagne THD ? Le syndicat mixte Mégalis a récemment fait le point sur le chantier auprès des collectivités adhérentes, actant des retards allant jusqu'à deux ans sur certaines zones. Mais a aussi rappelé le cap désormais fixé par la région : le 100% fibre pour 2026. Difficultés, nouveau départ et bataille financière avec l'Etat : nous faisons l'état des lieux du projet Bretagne THD avec Gwenegan Bui, (ci-contre) conseiller régional (PS) et vice-président de Mégalis.

DegroupNews : Mégalis et la région Bretagne ont officialisé en février une mauvaise nouvelle : des retards de déploiement qui pourront se monter jusqu'à deux ans par endroits.

Gwenegan Bui : Il n'y a pas de "mauvaise nouvelle", c'est quelque chose qui avait déjà été annoncé au moment où l'on a présenté les nouveaux calendriers, quand nous avons fusionné la phase 2 et la phase 3 et signé l'accord avec le consortium Axione. Et cela n'est pas homogène : selon les départements, on est en situation de soit tenir le calendrier, soit d'avoir un an, voire deux ans de retard, en raison de la défaillance d'un certain nombre d'entreprises.

C'est toute la difficulté du déploiement de la fibre optique comme nous l'avons fait : ce n'est pas comme une ligne de train, que vous commencez par Brest pour aller vers Rennes mètre par mètre. Nous avons essayé de diffuser la fibre optique au même moment dans tous les territoires. Nous avons donné une volumétrie en nombre de prises par EPCI (communauté de communes), et les EPCI choisissaient en fonction d'un certain nombre de critères les zones qui étaient prioritaires.

Quels sont les territoires où le déploiement rencontre le plus de difficultés ?

Ce sont les Côtes-d'Armor et une partie de l'Ille-et-Vilaine. Sur certaines plaques de déploiement, telle entreprise était sous-dimensionnée, alors qu'elle avait soumissionné au marché public et s'était présentée en capacité de faire. Elle ne l'est pas et cela met le système en tension, d'autant que les effectifs des entreprises peuvent évoluer d'une semaine à l'autre.

Par exemple une entreprise qui est en difficulté, Sogetrel, voit ses salariés partir dans d'autres entreprises. Il y a une concurrence sur la main d'œuvre, et quand Sogetrel arrive et dit je vais faire telle zone, et que lundi matin ils s'aperçoivent qu'ils ont deux salariés qui ont été débauchés, c'est nous qui devons payer les pots cassés. Il y  a bien sûr des pénalités lorsque l'on n'est pas en capacité de faire ce qui est prévu dans le marché public. Le problème est que cela peut alors tuer les entreprises définitivement...

C'est donc le facteur humain qui explique principalement ces retards...

Oui, le facteur humain est déterminant. Mais vous avez d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte et qui sont parfois mal compris par les élus ou les habitants. Il y a le cas des immeubles par exemple. Aujourd'hui, sur la tranche 1, 2 800 prises sont suspendues, parce que nous avons 27% de refus de conventions de la part de copropriétés. L'élagage pose aussi problème : il suffit que vous ayez un individu qui refuse d'élaguer, et ce sont 10, 15, 20 prises qui se retrouvent bloquées derrière.

Ce que nous faisons, c'est de la dentelle, alors que, dans l'esprit du public, vu les masses financières en jeu, avec un chantier de 1,7 milliard d'euros, on a l'impression que c'est du BTP classique. Sauf qu'en réalité il s'agit d'amener un cheveu dans chaque maison.

Y a-t-il un lien entre ces difficultés sur le plan humain pour Bretagne THD, et la forte accélération en cours sur les grandes villes et agglomérations (zones AMII), où ce sont les opérateurs privés qui déploient ?

Vous avez, au même moment, à peu près tout le monde qui déploie, donc une tension sur le marché du travail. Mais aussi une responsabilité des entreprises, qui au lieu d'embaucher et de préparer en amont, ont attendu le dernier moment pour se jeter sur les recrutements. Et donc vous avez une ressource humaine qui est très rare, encore plus quand elle est formée et qualifiée.

Et vous avez un retard dans les zones AMII. C'est le cas dans les secteurs déployés par SFR. A Morlaix, ils n'ont rien fait pendant six mois à un an. Ils ont récemment annoncé qu'ils seraient dans les temps. Je reste très sceptique face à ces annonces même si j'espère me tromper. Et dans les zones d'Orange, même si le retard est en train d'être rattrapé, il n'y a pas une zone, hormis Brest, qui soit dans les délais. Lors de la réunion annuelle de présentation des travaux des opérateurs aux collectivités, j'ai en mémoire les délais de Saint-Malo il y a quelques mois, où l'on était à des années-lumière de tenir le calendrier.

Ces déploiements sont encadrés par des conventions régionales, mais d'éventuelles pénalités ne pourront être envisagées qu'au niveau national...

Nous avons une convention régionale avec Orange et SFR, mais sans rien pouvoir leur objecter. Cette convention existe parce qu'elle résulte d'une volonté collective d'enclencher un rapport de force, mais elle ne nous permet pas de leur mettre des pénalités. L'Etat l'avait refusé.

Mais il n'y aura pas de pénalités non plus au niveau national. Quand on vous dit que la seule possibilité est de mettre des pénalités au niveau national, pour avoir siégé dans des instances nationales quand j'étais parlementaire, on sait très bien qu'à ce moment là, les opérateurs mettront d'autres éléments dans la balance, et qu'ils expliqueront qu'ils sont en retard certes, mais qu'il y a possibilité de faire autrement... Donc vous n'aurez jamais de pénalités.

Pour en revenir au RIP Bretagne THD, pour la phase suivante, vous avez changé de stratégie en confiant le chantier à Axione et Bouygues Energies & Services...

Notre choix s'est porté sur une massification. Au départ, nous étions partis du principe que nous allions faire travailler les entreprises locales, dans l'objectif de diffuser l'argent public pour qu'il bénéficie à un maximum de territoires. On s'aperçoit que cela peut marcher, comme dans le Finistère, et parfois pas, comme dans les Côtes-d'Armor, où l'on se retrouve en difficulté. Nous avons donc décidé de massifier et de lancer un appel d'offres global.

Une fois remporté par Axione, le chantier nécessite dans un premier temps une sorte d'usine : des plateaux techniques à monter, des bureaux d'étude - vous avez en ce moment une production en masse d'études pour pouvoir enclencher les travaux le plus vite possible. Le contrat comporte de toute façon des pénalités de retard qui s'appliquent, et qui s'appliquent durement. Nous avons aussi inclus dans le contrat une bonification pour le délégataire Axione s'il va plus vite. Nous avons la carotte et le bâton.

Il était question lors de la signature de l'accord d'un démarrage rapide du chantier, et de 100 000 lignes déployées dès 2020. Cet objectif peut-il être tenu ?

C'est contractualisé. Si nous n'avons pas ces 100 000 lignes en 2020, il y aura des pénalités. C'est l'intérêt d'avoir signé avec un major. Nous avions signé le marché en juillet 2019. Le temps de mettre en place les équipes, les plateaux technique et de conduire les études... Nous sommes en février 2020, je ne suis pas inquiet.

L'Etat vient de confirmer une aide de 90 millions d'euros pour financer la phase 2 du RIP Bretagne THD. Vous réclamiez 200 millions d'euros pour les phases 2 et 3. Le verre est-il à moitié vide ou à moitié plein ?

A moitié vide. Il nous manque toujours 110 millions d'euros. L'investissement total s'élève à 1,7 milliard d'euros. C'est un montant qui est connu. Et dans le même temps, s'il y a des recettes - ce qui est le cas, elles sont réparties au prorata, c'est-dire-que tous les partenaires sont intéressés au résultat. Un partenaire ne peut pas venir piquer la caisse - c'est ce qu'essaie de faire aujourd'hui la direction du Budget. Donc 90 millions, c'est bien, c'est pour la 2e phase, mais il y a une dernière phase à financer. Ce n'est pas 90 millions pour solde de tout compte. Il n'en est pas question.

Avec le nouveau cahier des charges France THD, Mégalis craignait de ne recevoir que 60 millions d'euros pour les phases 2 ET 3. Comment expliquer ce nouveau calcul plus favorable ?

Nous avons fait un énorme travail de lobbying, auprès d'à peu près tous les responsables de l'Etat, à tous les niveaux qui concernent la fibre. Il y a eu une bataille terrible avec la direction du Budget, qui essaie de revenir sur le plan France THD tel qu'il avait été enclenché sous François Hollande. Ils nous ont sorti le chiffre de 92% (ndlr : de locaux raccordables éligibles à subvention), mais nous le récusons.

Nous en restons aux 100%, nous en restons au partenariat financier qui avait été établi lors de la 1e phase. Et ces 90 millions correspondent à 100% de locaux raccordables pour la phase 2. Nous ne laisserons pas un Breton au bord de la route parce que le gouvernement a choisi d'en rester à 92%, ce qui est un scandale absolu, d'autant qu'il n'est absolument pas assumé. (Ndlr : cet entretien a été réalisé avant la publication du cahier des charges France THD définitif, dont cette règle des 92% a finalement été supprimée)

Et puis derrière, sur les 90 millions que l'on a obtenus, il n'y a pas 1 euro d'argent public nouveau. Au dernier budget de l'Etat, la ligne n'a pas du tout été abondée : les 90 millions proviennent des reliquats du plan Hollande. Les 110 millions complémentaires ne nous sont pas donnés parce qu'ils n'ont pas été inscrits au Budget. D'un côté, le gouvernement nous explique à longueur d'interview son ambition de développer la fibre optique dans tout le pays, et au moment de le concrétiser, il n'y a plus d'argent. Cela n'est pas entendre ce qui s'est passé avec les gilets jaunes...

Pourquoi ce blocage du gouvernement sur des autorisations d'engagement qui n'ont finalement pas d'impact budgétaire immédiat ?

J'avais même proposé à la direction du Budget qu'ils nous donnent une somme à fractionner, par exemple à raison de 30 millions d'euros par an, puisque nous n'avions pas besoin des 200 millions immédiatement. Nous voulons pouvoir aller voir les banques en affichant le soutien de l'Etat, avec une séquence de financement de 30 millions par an, et cela nous conviendrait. Qu'on ne vienne pas me dire que l'Etat n'est pas capable de sortir 30 millions d'euros par an, quand il demande aux syndicats de se mettre d'accord sur 12 milliards d'euros pour les retraites ! C'est une position dogmatique : Bercy, et ceux qui gouvernent, disent que la fibre optique n'est pas un droit pour tous. Ils veulent revenir en arrière en disant qu'il faudra accepter des zones de relégation. Mais au lieu de l'assumer politiquement, ils le font à bas bruit, dans une relation financière entre l'administration et les collectivités.

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