Déploiement THD : les retards dus au Covid-19 suscitent (déjà) des tensions entre l'Arcep et les opérateurs

Par Yann Daoulas modifié le 10/09/2020 à 09h34

Alors que l'Arcep entend surveiller de près les retards de déploiement imputables ou non à l'épidémie de Covid-19, les opérateurs télécom montent au créneau.

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Un perturbateur et un révélateur : le double rôle que joue l'épidémie de Covid-19 sur la scène de l'aménagement numérique. Car il s'agit tout autant aujourd'hui de limiter l'impact de la crise sanitaire sur les déploiements des réseaux, que d'en tirer les leçons sur le caractère indispensable du Très Haut Débit pour l'ensemble de la population. Dans ce contexte, la question des engagements contraignants pris par les opérateurs sur la fibre et le mobile s'annonçait ultra-sensible, et ça n'a pas loupé : là où le régulateur des télécoms fait vœu de "vigilance", les opérateurs perçoivent de la "défiance".

L'Etat appelé en renfort

Pour réamorcer la machine de déploiement, plusieurs acteurs sont attendus sous le feux de la rampe. L'Etat, d'une part, appelé à faire plus pour achever le déploiement de la fibre optique dans les territoires ruraux. Il s'était laissé le verre à moitié vide plus tôt cette année, au grand dam des collectivités. Il y a quelques jours, c'est la filière industrielle qui l'a derechef appelé à accentuer cet effort. En débloquant 650 millions d'euros, et non plus 280 pour achever de fibrer les territoires, mais aussi en prenant en charge les surcoûts occasionnés pour les PME. Pour l'heure, les premières réponses de l'exécutif ont consisté à faciliter les opérations de maintenance sur le réseau mobile, et à mettre en place une plateforme de signalement des difficultés de déploiement à l'intention des opérateurs.

"A bras le corps"

Ces derniers, justement, se voient également appelés à prendre leurs responsabilités. Afin d'éviter que le déploiement de la fibre ne connaisse un durable coup de frein, eux aussi ont leur rôle à jouer dans la préservation du tissu industriel. C'est ce qu'à fait valoir hier Sébastien Soriano, président de l'Arcep, lors d'une audition par la Commission sénatoriale à l'aménagement du territoire. Considérant qu'Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free se trouvent "dans une situation plutôt plus confortable que le reste de l’économie", le patron de l'Autorité de régulation a renouvelé son appel "solennel" déjà formulé la semaine dernière lors du chat "Territoires Connectés".

"Nous attendons d’eux qu’ils soient au rendez-vous de leurs responsabilité", a-t-il prévenu. Tout en saluant les diverses initiatives déjà annoncées - avances de trésorerie, primes, voire création de fonds dédié aux sous-traitants chez Iliad - Sébastien Soriano a laissé entendre qu'il en attendait encore plus. Les grands opérateurs doivent êtres prêts à "aller très loin" pour soutenir "s'il le faut, à bras le corps" leurs prestataires, "que l’on ait une reprise lente des déploiements parce que l’on a laissé se démanteler un tissu de PME que l’on a patiemment construit".

Sur la question des moyens, déjà, les intéressés protestent : ils n'ont pas les proches aussi profondes que cela. Bien qu'assuré des rentrées régulières fournies par les abonnements, le secteur pâtit lui aussi de la crise. C'est ce que souligne Arthur Dreyfuss, directeur général d'Altice et président de la Fédération française des télécoms, dans un entretien au Figaro. Boutiques fermées, revenus en ligne "drastiquement" en recul ou encore "baisse massive" des revenus issus du roaming : les opérateurs vont y laisser des plumes eux aussi, prévient le patron de la FFT (qui rassemble les plus grands acteurs du secteur sauf Free). Mais là où le représentant des opérateurs bondit, c'est quand le président de l'Arcep met en garde contre l'utilisation de la carte Covid pour se défausser d'éventuels retards.

Approche pragmatique

L'effort des opérateurs vis-à-vis de la filière pèsera notamment dans la balance au moment de jauger le respect ou non de leurs engagements. Retards il y aura indubitablement, et le régulateur n'entend pas demander le "plein respect des échéances" au regard de la situation exceptionnelle que traverse le pays. Reste que "l'après sera très exigeant" sur la problématique de la connectivité Internet, un "facteur d'exclusion massif" encore plus criant dans le contexte du confinement, anticipe Sébastien Soriano.

Si bien que l'Autorité se montrera, à l'avenant, "très exigeante" sur le respect des échéances de déploiement, qu'il s'agisse du mobile, qui concerne les quatre grands opérateurs, ou de la fibre en zone AMII, où seuls et Orange et SFR sont aux manettes. Elle vérifiera que les retards "sont bien proportionnés et justifiés", notamment à l'aune des initiatives prises par les opérateurs pour préserver l'ensemble de l'outil industriel. Et pourra au besoin "refixer un calendrier, dans le cadre de mises en demeure, pour faire respecter les nouvelles échéances".

A l'idée avancée par le sénateur Patrick Chaize d'un gel du calendrier de trois mois correspondant à la période de perturbations actuelles, et d'un décalage d'autant de l'ensemble des échéances, l'Autorité préfère donc une approche pragmatique. A savoir une sorte de "best effort" qu'elle s'estime en position de force pour apprécier à la lumière des engagement contraignants souscrits au préalable. Ce qui, au passage, rajoutera à n'en pas douter une couche de complexité supplémentaire à l'évaluation du respect ou non desdits engagements. Lesquels n'avaient pas besoin de ça pour susciter, déjà, le scepticisme quant à la possibilité de sanctions.

Pas de chèque en blanc

L'Autorité rechigne d'autant plus à s'engager sur ce principe du décalage temporel que les retards pourraient s'avérer plus conséquents, notamment dans l'hypothèse d'un reconfinement plus tard dans l'année. Ou à l'inverse, pas justifiés du tout : il n'est pas non plus question de signer un "chèque en blanc" aux opérateurs, qui conduirait à accepter "n'importe quel retard (...) au prétexte de la crise", prévient Sébastien Soriano. Dans sa ligne de mire, notamment, les premières concrétisations de l'accord New Deal.

Orange, SFR, Bouygues et Free sont en effet attendus sur plusieurs échéances en matière de déploiement des réseaux mobiles : généralisation de la 4G sur tous les sites à fin 2020, et première fournée de sites prioritaires à fin juin. Un point sera fait en juillet avec les intéressés sur la suite des événements en général, et sur ce premier jalon en particulier, a indiqué le président de l'Arcep. Tout en n'invitant pas les opérateurs à espérer de "mansuétude" de le part de l'Autorité vis-à-vis des sites à livrer au 27 juin prochain : ils avaient été identifiés de longue date, et les opérateurs avaient deux ans pour les équiper. Pour rappel, selon le tableau de bord du New Deal, au 10 avril, 28 des 459 sites identifiés avaient été mis en service.

Propos "insultants"

Du côté des opérateurs, c'est peu dire que ces avertissements passent mal. Ces "propos sont insultants pour les équipes qui sont sur le terrain et qui prennent des risques chaque jour", réagit ainsi Arthur Dreyfuss. Pour le président de la FFT, en se préoccupant d'ores et déjà de l'évaluation des retards, le président de l'Arcep fait trop peu de cas de la réalité opérationnelle d'acteurs qui "permettent à notre économie de tenir debout". Et ne se montre "pas à la hauteur de la mobilisation" en mettant des à présent sur la table les questions qui fâchent.

"Il sera bien temps à l’issue de cette crise de constater ce que nous avons pu réaliser ou non", tranche ainsi le porte-voix des opérateurs. Quand bien même ce constat serait négatif, on pressent déjà que, pour le gendarme des télécoms, la présence que l'on annonce durable du Covid-19 sur le territoire risque de compliquer considérablement le maniement du bâton.

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