Fibre en zone AMII : Ariel Turpin (Avicca) étrille les propositions d'Orange et SFR

Par Yann Daoulas modifié le 10/09/2020 à 10h34

Ariel Turpin, délégué général de l'Avicca, revient pour nous sur les propositions d'Orange et SFR sur le déploiement de fibre optique en zone AMII.

Fibre en zone AMII : Ariel Turpin (Avicca) étrille les propositions d'Orange et SFR

Orange et SFR ont récemment soumis au gouvernement leurs propositions d’engagements (voir notre analyse) visant à rendre disponible une offre commerciale en fibre optique (FttH) sur 12,7 millions de locaux de la zone moins dense d’initiative privée d’ici à fin 2020. Après avis de l’Autorité de régulation des télécoms (Arcep), le gouvernement pourra choisir de rendre ces engagements opposables, et sanctionnables financièrement en cas de non-respect.

Les courriers des deux opérateurs ont été examinés avec attention du côté de l’Avicca, l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel. Laquelle s’inquiète de longue date des retards accumulés sur cette zone dite AMII, depuis les intentions d’investissement manifestées en 2011. Nous avons demandé à Ariel Turpin, son délégué général, de nous livrer ses impressions sur ces propositions.

DegroupNews : Quel est votre sentiment global vis-à-vis de ces propositions d’Orange et SFR ?

L’Avicca salue la démarche, qui est très, très positive. Ce sont des opérateurs privés, que rien n’oblige à prendre de tels engagements. On peut leur reconnaître d’avoir, sur le principe, répondu à la demande de l’Etat. C’est après que ça se gâte, car quand vous prenez des engagements opposables et sanctionnables, on peut comprendre que vous ayez des réserves sur des cas de force majeure, des imprévus. Mais pas si les clauses de désengagement sont d’ores et déjà opérantes : c’est le problème des deux courriers qui ont été publiés.

DegroupNews : Ces engagements devraient malgré tout se traduire par une accélération des déploiements en zone AMII…

Tout à fait, là-dessus, nous sommes d’accord : l’accélération, on la mesure déjà, et elle sera encore plus sensible dans les mois qui viennent. Je ne nie pas la difficulté de l’entreprise, mais il ne faut pas non plus oublier le point de départ : les intentions affichées en 2010, 2011, le départ trop lent… Donc, objectivement, oui, aujourd’hui, les opérateurs accélèrent, mais pas suffisamment pour être au rendez-vous ne serait-ce que de 2022 à mon sens. On peut se réjouir de l’accélération à venir, mais on ne peut que se désoler de ce que cette accélération sera insuffisante par rapport au retard déjà pris.

FttH AMII, TRIP AVICCA automne 2017

(Source : Avant-propos, TRIP Avicca d'Automne 2017)

DegroupNews : Initialement, qu’avaient précisément promis SFR et Orange en zone AMII ?

Les deux AMII de 2011 portaient sur des intentions d’investissement et non des engagements. A l’époque, l’Etat et les opérateurs sont convenus d’une durée, avec une échéance à fin 2020 qui avait été présentée comme réaliste par Orange et SFR. Si bien que le seul rendez-vous que nous reconnaissons aujourd’hui est celui de fin 2020, pas 2022 ou 2025. De son côté, l’Etat a jugé crédible les intentions affichées par les opérateurs en 2011 et leur a fait un chèque en blanc. Il n’assume pas aujourd’hui le fait de s’être trompé et se retrouve coincé.

DegroupNews : Les opérateurs s’engagent désormais sur un maximum de 8% de locaux raccordables sur demande à fin 2020. Est-ce un recul par rapport aux ambitions initiales ?

La notion de raccordable sur demande, par rapport à la définition proposée par l’Arcep, est dévoyée dans les propositions d’Orange et SFR. Selon l’ARCEP, elle correspond à des situations très précises. Mais, là, ces 8%, ce n’est pas l’épaisseur du trait. Rien que pour Orange, c’est pratiquement un million de locaux, c’est énorme.

Nous aurions pu accepter un chiffre plus petit, 1%, voire 5, 10, ou 20% localement, par exemple dans des communes comptant un nombre important de résidences secondaires. Mais 8% au niveau national, c’est une manière de masquer que les engagements des opérateurs ne portent pas sur fin 2020 mais fin 2022. Le tout validé par l’Etat.

DegroupNews : Pourtant, dans les conventions de suivi et de programmation des déploiements (CPSD), élaborées par France THD, les opérateurs ne s’engagent que sur du 100% raccordable sur demande à fin 2020 auprès des collectivités. Ils pourraient finalement dire qu’ils vont plus loin.

Oui, à ceci près que les CPSD datent de 2013, tandis que la définition du raccordable sur demande date de 2015. Si bien que le raccordable sur demande qui figure dans les conventions repose sur une définition non-réglementaire. Les conventions n’ont pas été amendées, mais depuis 2015, on ne devrait plus pouvoir sortir ce genre de choses. A mon sens, ni l’Etat ni l’Arcep ne peuvent accepter que l’on parle de raccordable sur demande sur des lignes qui ne correspondent pas à la définition réglementaire.

DegroupNews : En matière de complétude, Orange s’engage à « finaliser le déploiement dans un horizon de temps d’au plus 5 ans à compter de la mise à disposition du point de mutualisation (PM) ». Quelle est la cohérence avec l’objectif de 2020 ?

Aucune. Cela fait partie des éléments qu'il n’était pas nécessaire de préciser pour finaliser un déploiement en 2020. Sans compter qu’il est question de complétude sous 5 ans à compter de la mise à disposition du PM, alors que ce devrait être à partir de la consultation préalable, comme l’a récemment rappelé l’Arcep. Cette seule phrase est déjà en elle-même contradictoire avec la réglementation, et avec leur engagement 2020 : un PM qu’ils mettraient en place en 2020 pourrait donc être fini en 2025.

Des incohérences comme ça, il y en a d’autres, comme le fait de citer des volumes prenant comme référence les bases Insee de 2011 et de 2013, ce qui tend à minorer le nombre de locaux à raccorder de 10% par rapport à la réalité de 2020. Pourquoi citer ces chiffres plutôt que prendre un simple engagement sur 100% des locaux ?

DegroupNews : SFR prend un engagement additionnel sur 1,6 million de prises supplémentaires en zone AMII. Cela ne risque-t-il pas de multiplier les zones de conflit avec Orange, au détriment d’autres zones ?

D’abord, il y a un gros problème de base dans le courrier de SFR : il ne parle pas d’engagements FttH, mais d’engagements de déploiement de la fibre. J’ignore si c’est involontaire ou volontaire, je ne veux pas faire dans le procès d’intention. Mais en l’état, le courrier de SFR parle aussi bien de FttLA, donc du câble modernisé, que de FttH, ce qui suffit à discréditer l’engagement.

Quant à cet engagement supplémentaire de SFR, je l’interprète plus comme une énième demande, justifiée ou non, de repartage de la zone AMII. Tout en évitant que cela soit engageant si quelqu’un d’autre – Orange ou un RIP – venait à y déployer à leur place.

DegroupNews : De son côté, Orange se dit prêt à renoncer à déployer, cofinancer et mêmes céder des réseaux sur les zones de conflit, en cas d’engagement « de force identique » par un autre opérateur. Que penser de cette proposition ?

Cela peut vouloir dire deux choses : soit Orange fait le pari que les engagements de SFR seront moins intéressants, et ce qu’il vise ici, c’est de pouvoir doublonner le réseau de SFR dans la zone AMII métropolitaine, voire « triplonner » des réseaux dans le cas de La Réunion par exemple.

Soit il s’agit d’une stratégie de réconciliation, qui consisterait à accepter d’arrêter de déployer là où les collectivités le font, par exemple sur les agglos de Vannes ou Nancy, où les niveaux d’engagement du délégataire sont supérieurs à ceux d’Orange.

DegroupNews : Orange évoque les pénuries de fibre et/ou de main d’œuvre comme des cas de force majeure susceptibles de remettre en question ses engagements. N’est-ce pas un peu commode dans le contexte actuel ?

Il y a trois clauses de désengagement : réglementaire et législatives, pénurie de fibre optique, pénurie de main d’œuvre. Les trois sont d’ores et déjà libératoires aujourd’hui. Pénurie de fibre : c’est le cas actuellement, et ça va encore l’être pendant 3-4 ans, et encore, si l’Allemagne ne démarre pas trop vite dans deux ans. La main d’œuvre manque aussi, je suis très bien placé pour le savoir sur la base des remontées de mes adhérents, avec des centres de formation qui tournent à 60% de capacité aujourd’hui.

Quant à la stabilité du cadre réglementaire, qu’Orange et SFR ne veulent pas voir bouger d’un iota, et du cadre législatif, c’est déjà plié. La Loi Elan contient des articles qui vont modifier le cadre général pour l’aménagement numérique. La PPL Chaize, qui devrait aller jusqu’au bout, modifiera aussi le cadre législatif, de même que le nouveau Code européen des télécoms, qui devra être très rapidement transposé dans le droit français. Quant au cadre réglementaire, il y a une consultation en cours en ce moment du côté de l’Arcep.

DegroupNews : Concernant cette consultation sur la cohérence des déploiements, si l’Arcep bouscule les règles, les opérateurs se sentent donc fondés à se libérer de leurs engagements ?

C’est ce qu’ils ont laissé entendre récemment lors du Graco, en disant que cela allait entraîner un bouleversement complet de la réglementation. Qu’Orange et SFR se retranchent derrière ce projet de recommandation, en disant que cela va chambouler leurs plans… c’est une pantalonnade. Parce que l’Arcep ne bouscule rien du tout, au contraire elle marche sur des œufs. L’Avicca est très déçue de ses propositions sur la complétude. On est en dessous de tout.

Actuellement sur les RIP (Réseaux d’initiative publique, ndlr), sur des PM en zone rurale avec des lignes très longues, la complétude est faite en un an. Les propositions de l’Arcep portent sur des zones beaucoup plus denses, et on accepte encore un délai de cinq ans ! Nous sommes aussi déçus car les comportements identifiés dans la consultation font surtout peser une menace sur les RIP, alors qu’il n’est même pas question d’eux dans ce document.

Par ailleurs, cette consultation rappelle que « la disposition centrale du cadre réglementaire en vigueur », donc sa colonne vertébrale, « est l’obligation de consultation préalable ». L’Arcep constate que celle-ci n’est pas « pleinement appliquée » – en réalité appliquée de temps en temps – et donc on s’attend à ce que la réponse soit à la hauteur, d’autant que cette disposition date de 2010. Que dit l’Arcep ? Elle rappelle seulement « l’importance d’une mise en œuvre complète de cette obligation »… C’est au-delà du navrant. Et pourtant les opérateurs trouvent ça scandaleux. Nous sommes bien sur deux planètes.

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